L’enjeu démocratique des prochaines élections européennes – Tribune dans Les Echos

Dans trois cents jours, les européens voteront directement, comme ils le font tous les cinq ans depuis juin 1979, pour élire les 705 femmes et hommes qui siègeront jusqu’à la fin de la décennie au Parlement européen. 

Même si ce rendez-vous électoral reste encore très lointain pour une majorité de Français , ce scrutin s’annonce comme un moment clé pour la démocratie européenne. Le Parlement européen est en effet la seule institution de l’Union élue directement par les citoyens, et ce lien direct avec le peuple est aujourd’hui décisif face aux crises de « gouvernance » que traversent les États membres et l’Union elle-même.

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Les élections européennes sont aussi essentielles d’un triple point de vue. D’abord, parce que le Parlement européen exerce des compétences fondamentales pour la vie démocratique de 448 millions de citoyens : législative, budgétaire, mais aussi de contrôle politique de la Commission européenne. Devenu colégislateur au fil de l’évolution des Traités, avec le Conseil de l’Union européenne, il s’est, de l’avis de tous, imposé comme un acteur central et responsable de l’édifice européen, intervenant désormais dans plus de 85 domaines de compétence.

Sauf exception prévue par les Traités, un texte européen ne peut pas aujourd’hui être adopté en cas de désaccord persistant entre lui et le Conseil. Est-ce que cela paralyse le processus démocratique ? Nullement. Au contraire, le dialogue « obligé », à l’intérieur du Parlement, entre groupes politiques de sensibilité différente, et à l’extérieur entre institutions, génère de manière récurrente des consensus fertiles et indispensables, qui sont le sceau d’une vraie démocratie et qui produisent des textes équilibrés, reflétant les attentes du plus grand nombre, et surtout de tous de ceux qui acceptent un débat légitime et loyal. Lorsque nous mettons en avant, partout en Europe, « l’État de droit », ce sont les fondamentaux de ce fonctionnement démocratique, fruit d’une patiente construction de plus d’un quart de siècle, que nous défendons ardemment.

Au-delà, les élections européennes de 2024 devront nous amener à nous interroger sur des questions fondamentales : quelles ambitions politiques le projet européen doit-il incarner ? Doit-on reprendre les conclusions, riches, de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe et, par exemple, aborder demain ensemble, en modifiant les Traités, les questions de santé, de défense ou d’énergie ? Ou doit-on, au contraire, rester dans un équilibre « inter-institutionnel » préservant les compétences étatiques dans un certain nombre de domaines stratégiques ? Et demeurer dans une construction européenne pesée au trébuchet, dépendante des urgences (sanitaires, militaires, énergétiques, …) qui lui sont imposées ? A l’heure de la guerre en Ukraine, l’Europe peut-elle être, durablement, un « GIE » au budget limité, dépassant péniblement 1% du PIB commun ? Les réponses à ces questions engagent l’avenir de l’Europe à vingt-sept, a fortiori, celle pouvant accueillir de nouveaux candidats en son sein.

Le scrutin du 9 juin 2024 sera aussi une formidable occasion de promouvoir une démocratie européenne plus vivante, en complément des cultures démocratiques nationales. Cette démocratie participative doit se fonder sur la délibération et la reconnexion de tous les citoyens avec la politique. Elle doit s’organiser dans les territoires, dans les régions, afin de prendre en compte la diversité et la richesse des cultures démocratiques nationales et impliquer le maximum d’européens. Sortant de « l’entre-soi », elle doit impérativement permettre que soient abordés les problèmes concrets du quotidien, et renforcer ainsi les dynamiques locales, notamment autour des biens communs et de la lutte contre la précarité (logement, alimentation, santé…).

L’Europe n’est pas qu’une construction politique engageant « d’en-haut » les États membres ; elle suppose l’implication active de la société civile dans l’élaboration des politiques publiques, en favorisant des échanges et un dialogue respectueux des histoires et des cultures, en vue de dépasser les clivages politiques, sociaux, économiques… et d’œuvrer pour l’intérêt commun. 

Le 9 juin 2024 sera enfin, bien évidemment, un rendez-vous politique important pour notre pays. Avec un risque non négligeable : devenir une sorte de consultation référendaire « pour » ou « contre » l’Europe ; et une opportunité exceptionnelle à saisir, enrichir le débat public des formidables enjeux que l’Europe doit incarner d’ici la fin de la décennie. Du chaos et des contradictions existantes aujourd’hui entre États membres doit émerger un projet social et écologique commun, une Europe solidaire et démocratique, ne se limitant pas exclusivement à un vaste marché, mais soucieuse de penser différemment la compétition mondiale et le bien-être de ses citoyens, notamment par des outils économiques, sociaux et fiscaux communs et innovants. « Penser l’Europe autrement », tel était le leitmotiv de Philippe Herzog et Michel Rocard en créant en 1992 notre laboratoire d’idées « Confrontations Europe » ; telle reste aujourd’hui notre ligne d’horizon, à l’aune du scrutin européen à venir.

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